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Pénurie de médicaments : Situation critique !

vendredi 23 février 2024

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Le phénomène est mondial et n’épargne pas la France. Selon l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), plus de 3 700 ruptures ou risques de ruptures de médicaments ont été signalées sur le sol français en 2022, contre 700 en 2018 et moins de 200 en 2012. Toutes les catégories de médicaments sont concernées : “Les anticancéreux, les antibiotiques, les médicaments pour les maladies cardiovasculaires et même des produits très simples comme du collyre”, constate le président de l’Académie nationale de pharmacie, Bruno Bonnemain.

Les causes de ces pénuries sont multiples.
Elles peuvent d’abord être conjoncturelles. Par exemple, la guerre en Ukraine a eu un impact sur la perturbation de la chaîne du médicament, car “Kiev produit un certain nombre de composants nécessaires à l’emballage des médicaments, comme l’aluminium, le verre ou même les métaux nécessaires aux aiguilles pour injection” rappelle toujours B. Bonnemain.
L’explosion de la demande mondiale de médicaments explique aussi en partie ces pénuries.
Mais il y a aussi les délocalisations concernant notamment la production de ce qu’on appelle les principes actifs, c’est-à-dire la molécule qui produit un effet thérapeutique, l’Inde et la Chine en produisant désormais plus de 80%.
Mais pour la journaliste indépendante Rozenn Le Saint, auteur du livre Chantage sur ordonnance. Comment les labos vident les caisses de la Sécu (Seuil, 2023), la médaille a un revers : “Cela a permis à l’industrie chimique et pharmaceutique de faire des économies, en exportant y compris la pollution, mais cela nous a aussi rendus extrêmement dépendants de ces pays-là. On s’en est rendu compte quand la Chine a fermé ses frontières lors du Covid-19 ou quand, au printemps 2020, l’Inde a arrêté l’exportation de paracétamol pour le réserver à sa population.”

Autre explication aux pénuries : l’extrême concentration de la production. Certains médicaments ne sont plus fournis que par une seule entreprise, ce qui rend très fragile la chaîne de fabrication.
Pour comprendre l’origine de ces pénuries, il faut analyser le modèle économique adopté par le secteur. Il a été profondément bouleversé ces dernières années.“Les laboratoires pharmaceutiques se sont fortement financiarisés, relève l’économiste de la santé Nathalie Coutinet. Les actionnaires disposent désormais d’un poids important dans les stratégies des firmes pharmaceutiques. Ce sont notamment des fonds d’investissement américains comme BlackRock ou Vanguard dont l’objectif est d’obtenir une rentabilité maximale.”
On est maintenant passé à un autre modèle économique, celui de marché de niche. Des médicaments pour des maladies rares ont été vendus en petites quantités mais à des prix de plus en plus extravagants. Cela correspond à une économie de produits de luxe.

Et alors, quelles solutions ?
• La LFSS 2024 comprend plusieurs mesures pour renforcer l’action des autorités sanitaires, notamment l’ANSM, en matière de lutte contre les tensions d’approvisionnement. L’Agence du médicament pourra notamment imposer un contingentement ou un circuit de distribution spécifique à un laboratoire et prendre des sanctions financières en cas de non-respect.
• De son côté, la Commission d’enquête du Sénat esquisse d’autres pistes pour sortir de cette situation : mettre en place une production européenne de médicaments essentiels, ou créer un secrétariat général au médicament placé sous l’autorité de la Première ou du Premier ministre. Elle s’est également intéressée aux expériences étrangères, comme au Brésil ou en Égypte. Là-bas, on a recours à une production publique de médicaments et à une levée des brevets. Elle a aussi constaté que même aux États-Unis, l’influence des géants du médicament est remise en cause, notamment à travers une fondation à but non lucratif mise en place par des hôpitaux pour accéder aux médicaments essentiels.
La rapporteure de la Commission d’enquête sénatoriale, Laurence Cohen, plaide pour sa part en faveur de la création en France d’un pôle public du médicament qui s’appuierait notamment sur l’Établissement pharmaceutique de l’Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS) de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Une structure (héritière de la Pharmacie centrale des hôpitaux) chargée de fabriquer des médicaments qui ne sont pas commercialisés par les industriels, pour l’hôpital public.
Problème : “L’AGEPS a de moins en moins de moyens et n’est plus en capacité de fabriquer des médicaments. Elle est donc obligée de passer par la sous-traitance", déplore Laurence Cohen. "On l’a désarmée volontairement en laissant la main aux labos privés.”

Bref, il existe des solutions mais rappelons que jamais les lobbys n’ont été aussi présents depuis 2017 dans les gouvernements successifs…

Catherine Vautrin a dévoilé le 21 février la stratégie du gouvernement visant à « garantir la disponibilité des médicaments et assurer à plus long terme une souveraineté industrielle ». Cette stratégie se décline sous la forme d’une feuille de route en quatre points : « innover », « produire », « distribuer », « prescrire et soigner ». Cette feuille de route présente peu de mesures nouvelles et reprend notamment les dispositions prévues par la Loi de Financement de la Sécurité sociale 2024. Pas certain que la réponse soit à la hauteur de l’enjeu !

Pour l’UNSA Retraités, la relocalisation en France ou au moins dans le périmètre de l’Union européenne, de l’industrie pharmaceutique, qu’il s’agisse des médicaments élaborés ou des principes actifs nécessaires à leur production est un impératif pour préserver la santé publique.