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Retraite par capitalisation : grave danger pour la protection sociale

samedi 22 février 2025

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La question du financement de notre système des retraites est au cœur des débats qui s’engagent pour les mois à venir dans le cadre de la négociation entre partenaires sociaux pour faire évoluer la réforme des retraites de 2023.
Le Medef, par la voix de son président, Patrick Martin, tente d’avancer la piste de la retraite par capitalisation comme réponse aux problèmes de financement de nos régimes de retraite.

Outre le fait qu’il bat en brèche la logique de solidarité du système de protection sociale français, issu du programme du Conseil National de la Résistance, un système de retraite par capitalisation peut s’avérer impossible à mettre en place, sauf à rompre avec le principe constitutionnel de République sociale. Même s’il était engagé partiellement, il s’avèrerait générateur de fortes inégalités, de baisse des pensions et porteur de menaces pour nos entreprises.

Le passage intégral d’un système par répartition à un système par capitalisation est impossible à court ou moyen terme.
Passer du système de répartition à un système par capitalisation finançant l’intégralité des pensions relève de l’impossible. Les pensions des retraités sont financées par les cotisations des actifs.
Si l’on passait à un régime de capitalisation, il faudrait :
 Soit que les actifs cotisent à la fois pour payer les pensions des actuels retraités, et pour provisionner les sommes servant à financer leurs futures rentes de retraite par capitalisation, ce qui augmenterait singulièrement les cotisations « salariés » comme les cotisations « employeurs ».
 Soit que l’on supprime brutalement le versement des pensions financées par le régime par répartition. Il faudrait donc dans ce cas trouver d’autres ressources pour financer les pensions des personnes déjà retraitées.
La Pologne l’a fait dans les dernières années du XX ème siècle, en vendant ses biens publics. Le Chili, qui s’est engagé dans la même voie, en émettant des obligations d’État.
Dans ce cas, il faudrait donc que l’État vende ses biens ou s’endette pour payer les retraites qui ne seraient plus financées par la solidarité intergénérationnelle.
Les deux hypothèses apparaissent peu réalistes au regard de nos contraintes budgétaires. Elles entraineraient une forte diminution des pensions.

La création d’un troisième pilier de retraite obligatoire, par capitalisation, en complément de la retraite de base et de la retraite complémentaire.
Ce système induirait forcément une cotisation supplémentaire pour les salariés comme pour les employeurs, solution peu compatible avec le refus total de la part du Medef de toute augmentation des cotisations. Il est en vigueur en Suède et n’a pas évité la paupérisation d’une partie des retraités.

L’incitation fiscale à la retraite par capitalisation
C’était l’idée contenue par la réforme pour un régime universel de retraite par points, portée en son temps par Jean-Paul Delevoye, en 2019. Les cotisations de retraite étaient plafonnées à trois fois le montant du plafond de la Sécurité sociale. Les gros salaires qui dépassaient ce plafond étaient incités, par des déductions fiscales, à constituer une épargne retraite supplémentaire étayée sur la capitalisation.
Ce système peut s’avérer rapidement générateur d’inégalités, les plus modestes épargnant peu ou pas, les plus favorisés épargnant beaucoup. Ce sont les plus riches et/ou ceux qui travaillent dans les "grandes et bonnes" entreprises, qui peuvent mettre de l’argent de côté. La solidarité entre petits et gros salaires est en partie rompue, et peut à terme transformer la retraite de base des salariés modestes, considérés comme des "cigales" parce qu’incapables d’épargner, en une sorte de minimum vieillesse. Les riches salariés « fourmis » disposant d’une capacité d’épargne importante, de la protection et des incitations de leur entreprise, se trouveraient largement à l’abri du besoin.
En Allemagne, dans les années 1990-2000, le gouvernement a limité les cotisations des retraites de base et incité, avec des allégements fiscaux, les salariés à faire de la capitalisation pour garantir le même taux de remplacement. Conséquence, cela a accentué les inégalités : le taux de pauvreté des plus de 65 ans est d’environ 16% contre 10% en France !

La retraite par capitalisation, un risque pour les entreprises
Qui dit retraite par capitalisation, induit une logique de fonds de pensions. Il s’agit de collecter l’épargne des salariés et de l’investir au mieux pour obtenir le meilleur rendement et pouvoir servir de « bonnes retraites » aux salariés qui ont confié leur épargne retraite à ces organismes.
Il n’y a pas de secrets, pour obtenir des dividendes confortables, il faut rogner sur les salaires, sur la qualité de vie au travail, voire sur la sécurité, sur les investissements...
En clair, mener une politique de prédation qui peut conduire à l’externalisation des productions vers des pays où les normes sociales, les salaires permettent des profits plus confortables, quitte à piller les savoir-faire, les brevets et les techniques.
Plusieurs entreprises françaises ont eu à subir les attaques de fonds de pensions agressifs, certaines ne s’en sont pas relevées.
Beaucoup d’économistes libéraux accusent le système de retraite par répartition de peser trop sur les actifs et de menacer la productivité. La retraite par capitalisation, en ouvrant la route aux fonds de pensions, peut avoir des conséquences autrement néfastes pour les emplois et la pérennité de nos entreprises !

L’Histoire nous le prouve, l’expérience de pays comparables au nôtre le confirme, la retraite par capitalisation, ce sont des inégalités accrues entre retraités, c’est une absence de sécurité à moyen ou long terme pour les salariés, ce sont des retraites plus faibles, c’est la menace d’une mise en coupe réglée de nos entreprises par les fonds de pensions pour dégager toujours plus de profits.